Sources www.diocesedetours.catholique.fr
Les éditions du CERF viennent de publier un livre sur saint
Martin. Entretien avec Gilles Berceville, Dominicain, auteur de la
Postface de ce nouvel ouvrage…
Quel était l’objectif des Editions du Cerf en lançant ce projet de livre ?
Au Moyen Âge, un petit livre introduisait les
chrétiens à la vie, au message et au culte de saint Martin : c’était le
"Petit Martin", en latin "Martinellus". Il était un des ouvrages les
plus lus au Moyen Âge. Nous voulions redonner au grand public un « Petit
Martin », qui prépare ou accompagne un pèlerinage, qui informe les
passionnés d’histoire et nourrisse la méditation des croyants.
Comment est-il structuré ?
Il s’agit d’abord d’une réédition de la Vie de
Saint Martin, traduite par Jacques Fontaine pour la collection "Sources
chrétiennes". Une introduction historique signée Marianne Saghy,
historienne hongroise, situe Martin dans son époque, au IVe siècle, et
retrace l’essor de son culte tout au long du Moyen Âge. Elle introduit
aussi au cycle magnifique des dix fresques de Simone Martini qui sont
reproduites dans un cahier au centre du livre, accompagnées de
méditations que j’ai écrites à partir d’elles. Après le texte de Sulpice
Sévère, une postface traite du culte de Martin à l’époque moderne et
s’efforce de dégager l’actualité du message de Martin.
Quelle a été votre contribution ? Et pourquoi ?
C’est la dévotion à la Sainte-Face qui m’a
d’abord conduit à Tours et au pied du tombeau de Martin. Je suis
convaincu qu’il y a un lien profond entre la découverte par Monsieur
Dupont de la Sainte-Face et le rôle qu’il a joué dans la recherche du
tombeau de Martin et l’essor de son culte. Je tenais beaucoup à faire
comprendre ce lien : la sainte Face est le visage que Dieu se donne pour
toucher un monde marqué par l’athéisme théorique et pratique, un monde
qui a perdu ou perverti le sens de Dieu, le sens religieux. Tel est le
message que Thérèse de Lisieux a elle-même approfondi et qui l’a
éclairée sur sa vocation. Le culte de la Sainte-Face revient aux sources
de l’Evangile, de la révélation de l’humilité et de la bonté de Dieu,
au pied du tombeau du grand évangélisateur de notre pays.
Après la Vita Martini, on y trouve des lettres, chroniques et
dialogues. Que nous apprennent-elles sur saint Martin ? Et quel est leur
"rôle" ?
La Vie de Martin a été écrite du vivant même du
saint. Les lettres nous font connaître les circonstances de sa mort,
ajoutent de nouvelles informations sur sa vie, et s’efforcent de montrer
l’importance hors pair de Martin. Avec lui, quelque chose de décisif
s’est passé pour l’Eglise. Les nombreux miracles qui émaillent sa vie,
et qui dépasseraient selon Sulpice Sévère tous les prodiges recensés en
d’autres lieux, ces miracles attestent la grandeur de sa sainteté donnée
en exemple au peuple chrétien.
Selon vous, pour quelle raison le culte à saint Martin s’est-il autant développé au Moyen Âge ?
Comme je suis moi-même un dévot de Martin, je
vous dirai que c’est d’abord parce que le Bon Dieu en a voulu ainsi. Il
y a toujours quelque chose de mystérieux dans l’essor d’un culte, quels
que soient les motifs sociologiques, politiques, anthropologiques qu’on
lui trouve. Martin, comme Nicolas, est une figure de bonté, qui attire,
rassure, encourage. Il est celui auprès de qui tous savent qu’ils vont
pouvoir trouver refuge, lépreux, déguenillés, révoltés, et même
suicidés. Seuls ceux qui sont satisfaits d’eux-mêmes auront du mal à
l’inviter chez eux. Mais, par ailleurs, il est en décalage par rapport à
ce que devient vite la chrétienté après lui : il refuse
l’asservissement de l’Eglise par le pouvoir politique, l’usage de la
contrainte et de la violence en matière religieuse, le recours à toutes
les formes de prestige pour imposer son influence.
Sa vie, telle qu’elle a été relatée par Sulpice Sévère, toute sa
vie, et pas seulement le geste du partage à Amiens, alors qu’il n’était
encore que catéchumène, peut-elle encore "parler" à nos contemporains ?
Assurément. Martin montre comment la foi en la
divinité de Jésus, pour laquelle s’est tant battu son maître Hilaire, et
le service des frères, et surtout des plus pauvres, sont étroitement
liés. Il montre comment s’épanouissent l’humilité et la bonté sur le
chemin qu’a ouvert le Christ. Tous peuvent se laisser toucher par cet
officier qui cire les bottes de son serviteur, par ce moine qui se
laisse tirer hors de son monastère pour venir au secours du premier
venu, et qui se retrouve évêque parce qu’il a été piégé par son grand
coeur. Comme l’a peint Simone Martini, quand un miracle se produit, il
est à genoux au milieu de son peuple, jamais en surplomb.
À vous-même, quel passage, de sa vie, vous semble le plus important ? Et pourquoi ?
Comme Jacques Fontaine l’a montré, le fil rouge
de la Vie écrite par Sulpice Sévère est le mystère de Jésus Serviteur,
tel qu’il a été annoncé par le prophète Isaïe, tel qu’il se montre en sa
Passion : c’est le critère de tous les discernements de Martin. Là où
sont humilité et bonté, là est Jésus, là est Dieu. « »Non, le Seigneur
Jésus n’a point prédit qu’il viendrait vêtu de pourpre, ni avec un
diadème éclatant ; pour ma part, je ne croirai à la venue du Christ que
s’il se présente avec les habits et sous l’aspect qu’il avait lors de sa
passion ». C’est évidemment le message de la Sainte-Face que retrouvent
au dix-neuvième siècle Marie de Saint-Pierre, Léon Papin-Dupont et
Thérèse de Lisieux après eux.
Enfin, la préface de cet ouvrage est signée de Mgr Aubertin, préface
intitulée "Saint Martin de Tours, visage du Christ". N’est-ce pas, en
résumé, l’essentiel ?…
La préface de Mgr Aubertin met en lumière un
paradoxe : Martin est un homme aux multiples visages : soldat, moine,
évêque, évangélisateur ; mais sa vie montre une grande cohérence. La
cohérence que lui donne son amour du Christ. Chacun de nous peut s’y
retrouver, chacun de nous comprend que l’amitié du Christ lui permettra
de donner le meilleur de lui-même.
B. V.
Saint Martin de Tours Les éditions du Cerf 224 pages, 15 € En librairie depuis le 8 avril 2016
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