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Mgr Vincent Jordy sur l’euthanasie : « Nous avons dit : “Attention !” »
Par VDA**********AIL le 30/09/2022 07:32:59:00, cet article a été lu 1260 fois.


Mgr Vincent Jordy sur l’euthanasie : « Nous avons dit : “Attention !” »


Famille Chrétienne

article de Jean-Marie Dumont





Comment s’est passée cette rencontre ?


La ministre nous a surtout délivré une sorte de discours sur la méthode, en nous disant “voilà où nous en sommes” et “voilà comment les choses vont se passer” : la Convention citoyenne, le travail avec les parlementaires, les groupes de soignants, les diverses personnalités qui seront consultées et amenées à se positionner. Elle nous a exprimé son souhait d’un débat qui soit « apaisé ». Elle a aussi formulé trois points d’attention en lien avec la législation qui se prépare : les soins palliatifs, la question de la liberté et celle, plus générale et douloureuse, de l’impact de la crise du Covid sur la fin de vie. Dans un deuxième temps, nous avons – j’étais avec Mgr Pierre d’Ornellas, responsable du groupe de travail Bioéthique de la CEF – pris la parole.


Que lui avez-vous dit ?


J’ai surtout posé le cadre, en interrogeant l’opportunité de changer la loi. On nous dit beaucoup que la majorité des Français sont prêts. Mais on peut aussi observer qu’ils ont été préparés, dans la culture, au cinéma, dans les médias… la question étant à peu près toujours amenée sous le même angle, très compassionnel et très affectif. Or le sujet n’est pas aussi simple que cela : se dire qu’on est pour l’euthanasie active en regardant une série sur son canapé est autre chose que d’être soi-même confronté à la question pour quelqu’un ou pour soi-même. La question de l’opportunité est d’autant plus forte dans une société où il y a d’autres urgences. Il y a aussi une vraie question sur l’information des personnes.


Dans quel sens ?


La loi Claeys-Leonetti de 2016, qui n’a pas été évaluée – la ministre nous a confirmé qu’une évaluation aurait lieu à partir de novembre –, est encore très mal connue. Beaucoup de Français ne comprennent rien du tout par exemple aux directives anticipées. J’ai moi-même dû les remplir pour une intervention bénigne pour laquelle on me l’a demandé et j’avoue que j’ai eu l’impression qu’il fallait sortir de Normale Sup pour le faire. Ce qui ressort, c’est la carence de l’Etat. On a l’impression qu’on veut refaire une loi qui existe mais qui n’est pas correctement mise en œuvre. Dans 26 départements français, il n’y a pas encore d’unités de soins palliatifs.


Avez-vous évoqué les modalités du « débat » avec Madame Firmin Le Bodo ?


Je lui ai dit que notre attention se portait sur la manière de le conduire. Car on a quand même un peu l’impression, quand on écoute le Conseil consultatif national d’éthique et le Conseil économique, social et environnemental [qui mènera la Convention citoyenne, ndlr], voire même le président de la République, que le débat est déjà fait. Pour la crédibilité de notre République et de la démocratie, il faut qu’il y ait un vrai débat. La ministre, de son côté, a bien sûr évoqué la question de la liberté des personnes. On parle aujourd’hui beaucoup de la liberté de choix à ce sujet, or nous savons que les personnes qui arrivent à cette étape de leur vie ont souvent une liberté qui est très conditionnée par un certain nombre de facteurs.


Il y a aussi l’idée de créer un nouveau droit…


C’est intéressant de poser la question de la création d’un nouveau droit subjectif -- le droit à l’assistance au suicide ou à l’euthanasie active –, mais ce qu’il faut bien voir c’est que c’est un droit qui affecte toute la société. Prétendre que c’est au nom d’un droit personnel qu’on pourrait décider à quel moment on va mourir concerne toute la société car ce « droit » passe forcément par un tiers. En effet, dans le suicide assisté, je demande de l’aide à quelqu’un ; dans le cas d’une « euthanasie active », c’est un tiers qui va presser le bouton ou mettre en place un produit létal. Par ailleurs, il faut aussi lier cette question à celle du grand âge. Le nombre de personnes atteignant le grand âge augmentant, certaines tentations peuvent naître. Dans son dialogue avec Marie de Hennezel que j’ai cité à la ministre, François Mitterrand dit ceci : le jour où on autorisera un médecin à supprimer une personne, on entrera dans la barbarie. On expliquera à des personnes d’un certain âge qu’elles peuvent avoir l’élégance de s’en aller pour ne pas peser. C’est une vraie question. Que préparons-nous ?


Lors des dernières lois de bioéthique, l’Eglise a dit qu’elle avait l’impression d’être beaucoup écoutée mais pas entendue. Avez-vous eu l’impression d’être écouté et entendu ?


Mgr d’Ornellas lui-même a repris la formule. Il a fait remarquer à la ministre que, souvent, sur les questions de bioéthique, on discute beaucoup mais on dialogue peu. Les arguments des uns et ceux des autres sont exprimés. Mais les arguments de ceux qui ne sont pas en accord avec ceux qui conduisent les travaux ne sont pas nécessairement intégrés. C’est une vraie question. Nous avons donc dit : « Attention ! » Ce matin je lisais un article de Marcel Gauchet disant que la société française est dans une situation épouvantable, à tous niveaux : déclassement social, une série de réalités régaliennes qui ne fonctionnent plus ou mal : hôpital, école... On se pose des questions un peu partout. Il ne faudrait pas rajouter du désespoir au désespoir. Et en particulier en donnant le sentiment qu’on a intégré les gens dans une réflexion mais qu’on ne les a justement pas écoutés. Et donc qu’il y en a qui ne comptent pas ou ne comptent plus, et que les décisions se prennent sans que vraiment tous les Français puissent participer à cette réflexion.


Avez-vous noté des points de convergence ?


Oui. Sur la méthode qui va encadrer cette réflexion, nous avons évoqué en particulier l’esprit « apaisé » dans lequel nous souhaiterions que ce débat ait lieu. Nous avons dit qu’il nous fallait pouvoir écouter les positions des uns et des autres et chercher à trouver une manière de faire en sorte que soient au centre le respect de la personne humaine et la fraternité. Nous sommes d’accord pour dire que nous avons besoin d’un dialogue qui ne se vive pas dans l’outrance ou dans la violence, qui puisse être constructif. Mais nous demandons à voir.


Le précédent des états généraux de la bioéthique ne pousse pas à faire confiance…


Le débat ne pourra se faire que dans des conditions respectueuses. Il y aura la convention citoyenne, dans le cadre de laquelle des Français seront invités à se prononcer, et d’autres débats qui auront lieu, certainement au niveau local. Je sais bien que la dernière expérience, lors de la dernière révision des lois de bioéthique, s’est un peu terminée en queue de poisson, je me suis d’ailleurs permis de le dire à la ministre. Je lui ai également rappelé que les membres de la convention sur le climat, appelés à voter sur la qualité de qu’ils avaient fait, avaient donné une note de 3,3 sur 10. Cela veut dire qu’il faut désormais faire les choses avec sérieux. Car il y a beaucoup de désespoir en France, un vrai mécontentement, et même une sorte de violence qui monte dans la société. Ce débat est peut-être aussi l’occasion d’avoir une réflexion fondamentale sur ce qu’est la vie, la fin de vie, le respect de l’autre, l’accompagnement de la personne, la fraternité. S’il est bien mené, il peut peut-être aussi apporter un bénéfice à la qualité des relations sociales dans son ensemble.


Engager un « débat » pour changer la loi, n’est-ce pas déjà influencer les débats dans le sens de la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie ?


Bien évidemment. C’est le principe du toboggan, comme le disent certains. On entend aussi des personnes se référer à des sondages pour affirmer que les Français seraient « prêts ». Or, par exemple, en 2016, un sondage avait été fait sur la fin de vie par le même institut à trois semaines de différences, avec deux questions formulées de manière légèrement différente, et les résultats étaient complètement contradictoires. Cela montre bien que selon la manière dont on pose la question on induit la réponse. J’ai souligné aussi auprès de Madame Firmin Le Bodo que dans l’Oregon, Etat américain qui a fait le choix de mettre en œuvre le suicide assisté, sur 100 personnes qui demandent ce suicide, 50% viennent chercher la substance létale et 30% des 50% l’utilisent. De la première idée à la mise en œuvre, il y a tout un processus et donc on est dans de la complexité. A nous donc d’essayer de permettre que ce soit un débat et qu’il ne s’agisse pas d’entériner simplement des choses qui sont déjà décidées.


Les laïcs attendent que l’Eglise exprime une parole claire sur ces thèmes. Les encouragez-vous à prendre eux aussi la parole sur ces sujets notamment dans les médias ?


Bien évidemment. C’est tout le sens de la société civile. Je rappelle que la laïcité concerne l’Etat, pas la société. Dans la société, le débat est ouvert. J’invite bien évidemment les catholiques à prendre leur part, de manière réfléchie, et, comme dit l’apôtre Pierre dans sa première épître, à rendre raison de l’espérance qui est en nous, toujours avec respect.






Fin de vie : "Organiser le suicide assisté c'est renoncer à accompagner chacun dans la vie", affirme Mgr Eric de Moulins-Beaufort


La loi sur la fin de vie pourrait évoluer prochainement. C’est en tout cas la porte entrouverte par Emmanuel Macron, annonçant il y a quelques semaines le lancement d’une convention citoyenne sur la fin de vie, qui se déroulera d’octobre à mars. Dans le même temps, le comité consultatif national d’éthique a jugé qu’une aide active à mourir pourrait s’appliquer en France. Mgr Eric de Moulins Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a pu exprimer son inquiétude à Emmanuel Macron. Il était l'invité de la Matinale RCF.